jeudi 15 avril 2010

Probabilités pour ingénieurs et pour presque tous les non mathématiciens (1.1)


Chapitre 1.- Quelques notions de base



  1. Introduction
  2. Définition de quelques termes reliés aux ensembles et aux probabilités
  3. La probabilité d'un événement et sa détermination
  4. L'espace échantillonnal fini et son dénombrement
  5. Les probabilités conditionnelles
  6. Les événements indépendants
  7. La partition de l'espace échantillonnal, la loi de probabilité totale et le théorème de Bayes

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LEÇON 1.1 - Introduction
Dans cette première leçon le lecteur saura répondre aux quatre questions suivantes :
1. Comment les probabilités interviennent-elles dans la vie de tous les jours ?
2. Quel est le sens du nombre utilisé pour exprimer une probabilité ?
3. Comment établir le nombre qui exprime une probabilité ?
4. Comment éviter les erreurs conceptuelles en calcul des probabilités ?




1.1.1 Comment les probabilités interviennent-elles dans la vie de tous les jours ?
En réalité, les probabilités interviennent dans tous les gestes que nous posons et dans tout ce qui nous arrive dans la vie quotidienne. Cependant notre intuition ne nous aide pas du tout à trouver réponses aux questions soulevées à leur sujet.
Vous connaissez sans doute quelqu’un qui a été nommé Sénateur par le Premier ministre canadien, ou bien qui a été nommé Gouverneur général du Canada, ou bien qui a gagné deux fois à la loterie et vous vous demandez est-ce que vous pourriez être aussi chanceux qu’eux.

Les leçons que j’écris pour vous, vous permettront, à un moment donné, de comprendre, par exemple, les résultats d’un sondage d’opinion réalisé auprès des électeurs d’un pays donné, où deux partis politiques s’affrontent. Supposons que le sondage soit réalisé un mois avant le jour du scrutin. Supposons que le parti L bénéficie de X pourcents des intentions de votes auprès des électeurs sondés et que le parti Q en bénéficie de Y pourcents. Supposons qu’il n’y ait pas d’indécis, c’est-à-dire que X+Y = 100%. Que signifient les nombres X et Y pour les partis en lice ? Que signifie exactement la phrase qui qualifie les résultats du sondage : « La marge d’erreur du sondage est de 3%, 19 fois sur 20» ?

Quelle est la probabilité (la chance) que chacun des événements suivants ait lieu ?

• Nous sommes en avril 2010, et vous décidez de passer deux semaines de vacances d’été à Port-au-Prince du samedi 17 au samedi 31 juillet 2010. Quelle est la probabilité qu’un séisme de magnitude 7.0 à l’échelle de Richter ait lieu pendant votre séjour en Haïti le long de la faille Enriquillo entre Pétion-Ville et Grand-Goâve ?

• Quelle est la probabilité qu’un bloc de glace de 5 cm de diamètre se détache du parapet enrobé de glace d’un viaduc au-dessus de l’autoroute Décarie à Montréal, et tombe sur le pare-brise de votre véhicule au moment où vous passez sous ce viaduc au volant de votre véhicule un dimanche donné, au cours d’un hiver donné, à la suite d’une forte tempête de neige ?

• Vous êtes au volant de votre voiture sur une route au Québec et vous tenez votre téléphone pour lancer un appel téléphonique à un ami (ce geste est maintenant illégal au volant). Quelle est la probabilité de vous faire intercepter par la police et recevoir de lui un billet d’infraction au code de la route ?

Les situations présentées ci-dessus sont des exemples de manifestations de phénomènes aléatoires, ou des exemples d’événements qui peuvent vous arriver ou dont vous pouvez être témoin dans la vie courante.


L’ensemble des leçons qui vous suivront vous permettront de quantifier, d'interpréter, de comprendre les phénomènes aléatoires que vous pouvez observer dans votre vie de tous les jours où dans votre profession, quelle qu’elle soit.

1.1.2 Quel est le sens du nombre utilisé pour exprimer une probabilité ?
Comme on le verra au cours de ces leçons, la théorie des probabilités a un langage qui lui est propre, comme cela arrive dans chaque discipline. Nous apprendrons ce langage au fur et à mesure.

Voici quelques termes utilisés dans le langage courant pour traduire les probabilités : chance, vraisemblance, pourcentage, proportion, etc.
Une probabilité se définit comme étant la chance (réelle) qu’un certain événement se produise à partir d’un phénomène aléatoire donné.

Une probabilité s’exprime par un nombre compris entre 0 et 1. Ce nombre peut être un nombre décimal ou une fraction (un rapport). On peut aussi exprimer la probabilité par un pourcentage (entre 0 % et 100%).

Exemple C1.L1.1
Par exemple, on considère l’expérience suivante que l’on peut répéter à volonté. On lance en l’air une pièce de monnaie que l’on suppose parfaite (c’est-à-dire, sans défaut). On dira parfois que la pièce est bien équilibrée. La pièce a alors autant de chances de tomber sur le côté face que de chances de tomber sur le côté pile. On suppose ici que la possibilité pour la pièce soit suffisamment mince pour ne pas pouvoir tomber (rester) debout au sol en s’y appuyant selon une ligne de contact correspondant à l’une des positions particulières qu’occuperait la génératrice qui engendre la surface latérale du cylindre. On peut concevoir que la probabilité que la pièce tombe sur le côté face (c’est-à-dire que seule le côté face est visible) est égale à 50% ou ½. On dira que les chances pour que la pièce de monnaie tombe sur le côté face sont de 1 sur 2.

Exemple C1.L1.2
On lance en l’air un dé supposé parfait (le dé est un petit cube ayant donc six faces carrée, huit sommets et 12 arêtes). Les faces sont numérotées de 1 à 6 à l’aide de points noirs (petites surfaces circulaires). La probabilité que le dé tombe sur la face numéro 5 (la face du dessus contient cinq points noirs) est à peu près égale à 16,67%. Plus précisément, la probabilité pour que le dé tombe sur la face 5 est égale à 1/6. Ou encore, les chances pour le dé de tomber sur la face 5 sont de 1 sur 6.
On connaît cette probabilité à l’avance, c’est-à-dire avant de commencer l’expérience du lancer de dé ! Et chacune des faces du dé a la même chance d’occuper la position du dessus à la fin d’un lancer du dé, soir 1 sur 6.

Le terme chance peut avoir plusieurs sens. Il peut correspondre à un individu ou à un groupe d’individus. Quelles sont les chances d’un candidat d’être élu parmi plusieurs candidats en lice ? Quel est le pourcentage d’hommes de race noire susceptibles d’avoir le cancer de la prostate après 45 ans ?

Tous les termes employés pour traduire les probabilités reposent sur l’idée de
chance à long terme.

Exemple C1.L1.3
Reprenons l’expérience du lancer d’une pièce de monnaie. La pièce est lancée en l’air 10 000 fois de suite et l'on note à chaque fois sur quelle face elle tombe. On suppose que la pièce est parfaite et qu'elle le reste tout au long de l’expérience, quel que soit le nombre de lancers (les ingénieurs diraient qu’il n’y a pas de déformations permanentes quel que soit le nombre de chocs). Peut-on estimer, avant l’expérience, le nombre de fois que la pièce tombera sur face après 10 000 lancers ?
Pour une pièce de monnaie parfaite, on peut s’attendre à ce qu’elle tombe environ autant de fois sur face que sur pile : à peu près 5 000 fois.

En réalité, les pièces de monnaies sont imparfaites (biaisées). En simulant l'expérience du lancer sur ordinateur, on peut considérer virtuellement que le dé utilisé est sans sans biais. On a réalisé l’expérience sur ordinateur dans les années 50. Voici en résumé un extrait des résultats obtenus :
Pour les 1 000 premiers lancers : 501 faces.
Pour les 2 000 premiers lancers : 986 faces.
Pour les 3 000 premiers lancers : 1495 faces.
Pour les 4 000 premiers lancers : 2031 faces.
Pour les 5 000 premiers lancers : 2516 faces.
Pour les 6 000 premiers lancers : 3004 faces.
Pour les 7 000 premiers lancers : 3504 faces.
Pour les 8 000 premiers lancers : 4001 faces.
Pour les 9 000 premiers lancers : 4495 faces.
Pour les 10 000 premiers lancers : 4979 faces.

Nous observons ici que, dans les dix étapes considérées, le nombre de faces observé est environ la moitié du nombre de lancers. Cependant, il faudrait recourir à une théorie plus avancée pour vérifier dans quelle mesure ces résultats empiriques sont en accord avec le modèle théorique (idéal) de lancer de dé. Sur ce point particulier, le lecteur intéressé pourra consulter Feller (1968), p. 21-22, 86-88.



Certaines probabilités sont très difficiles à quantifier. Par exemple quelle est la probabilité pour une tempête tropicale de se transformer en un ouragan qui causera finalement des glissements de terrains à un certain endroit à un certain moment ? Il s’agit d’une probabilité qui dépend de plusieurs facteurs, ces derniers étant eux-mêmes presque impossibles à évaluer.
Certaines autres, on l’a vu, sont très faciles à évaluer : la probabilité pour un dé de tomber sur la face 5 est 1/6.
Entre ces deux extrêmes se situent des probabilités pour lesquelles les observations antérieures peuvent être utilisées pour se faire une bonne idée de ce qui peut vraisemblablement arriver.


1.1.3 Comment établir le nombre qui exprime une probabilité ?
Comment quantifier la probabilité d’un événement ?
Selon la complexité de la situation étudiée, on peut recourir à l’une des quatre approches suivantes :
a) une approche subjective;
b) une approche mathématique;
c) un simple calcul de fréquences relatives;
d) le recours à des simulations.

L’approche subjective est plutôt vague, peu rigoureuse, fondée sur des perceptions, des opinions, ou des désirs.
L’approche mathématique est basée sur des formules. Elle est utilisée quand on peut déterminer à l’avance tous les résultats possibles et alors calculer une fois pour toutes, avant l’expérience, la probabilité d’occurrence de chacun des résultats possibles.

L’approche par calcul des fréquences relatives se fait à partir de la cueillette d’informations (de données) à la suite de laquelle on calcule la fréquence de l’occurrence d’un événement donné.

L’approche par simulations consiste à générer des données selon un certain schéma (scénario) en répétant un grand nombre de fois ce scénario. En général, on a recours à un ordinateur pour faire les simulations. Cette technique est très utilisée dans la recherche scientifique. Elle peut coûter cher en temps de calcul, en plus d’être dans certains cas, très sophistiquée, c’est-à-dire requérir l’utilisation de techniques mathématiques et/ou numériques de pointe.


1.1.4 Comment éviter les erreurs conceptuelles en calculs des probabilités ?

• Il faut éviter de se fier à son intuition pour estimer les probabilités car, souvent, elles défient l’intuition.

• Choix d’un nombre entre 1 et 10. Considérons un jeu de société auquel participent 100 personnes. On considère ici seulement la première étape du jeu consistant à choisir dans sa tête une carte dans un lot 10 de cartes différentes numérotées de 1 à 10 et placées dans cet ordre, l’une à la suite de l’autre. On espère qu’environ 10 personnes choisiront la carte no. 1, 10 autres la carte no. 2, et ainsi de suite. Mais ce n’est pas cela qui arrive. On observe que les personnes choisissent plus souvent la carte no. 3 ou la carte no. 7. La raison, c’est que les personnes ont tendance à ne pas choisir la carte no. 1 ou la carte no. 10 car elles sont placées aux extrémités. Elles ne veulent pas prendre non plus la carte no. 5, car elle est au milieu. Alors elles y vont pour un nombre plus aléatoire : la carte situé à mi-chemin entre 1 et 5, soit 3, et celle à mi-chemin entre 5 et 10, soit 7. On doit dans ce cas, rejeter l’hypothèse selon laquelle les 10 choix sont équiprobables. Le choix des gens n’est pas aussi objectif que l’est un générateur de nombres aléatoires ou une table de nombres aléatoires.

• Si l’on inscrit chacun des nombres de 1 à 10 sur un carton individuel et si on les place dans une urne, on les brasse et l’on tire un carton au hasard, on crée alors un processus aléatoire.

• Lancer d’une pièce de monnaie dix fois. On considère l’expérience suivante consistant à lancer en l’air 10 fois de suite une pièce de monnaie. Supposons que le résultat obtenu se présente dans l’ordre suivant (F=face, P=pile) : F P F P P P P P P F. On pourrait penser que les lancers ne soient pas tout à fait aléatoires. Mais cette déduction basée sur l’intuition est fausse. Si on lance une pièce de monnaie 10 fois de suite avec 2 résultats possibles pour chaque lancer (P ou F), on a 2^10 = 1024 résultats possibles pour un ensemble de 10 lancers successifs, chaque résultat étant équiprobable. Le résultat précédent (F P F P P P P P P F) apparaît maintenant comme étant réellement aléatoire. La probabilité associé à chacun des résultats est p = 1/1024 (soit environ 0,000977). On suppose que la pièce est équilibrée (sans défaut).


Fin de la Leçon 1.1


Références utilisées dans la préparation de cette leçon:

1. Hines, William W., Montgomery, Douglas C., Goldsman, David M., Borror, Connie M. (2005) Probabilités et statistique pour ingénieurs, Les Éditions de la Chenelière, 597 p., traduction de Probability and statistics in engineering, Fourth Edition, Wiley 2003 des mêmes auteurs et du chapitre 7 de Introduction to Statistical Quality Control, Fourth Edition, Montgomery, Douglas C. Wiley 2001.

2. Rumsey, Deborah (2006) Probability for Dummies, Wiley, 358 p.

3. Feller, William (1967) An Introduction to Probability Theory and its Applications, Volume I, Third Edition, Revised Printing (1970), Wiley, 509 p.

4. Moi-même.

mardi 13 avril 2010

Probabilités pour ingénieurs et pour presque tous les non mathématiciens (1)


Enfin, je vais pouvoir commencer la publication de la série de leçons.
Je la divise en deux parties:

Première Partie: Les Probabilités
Deuxième partie: La Statistique

Voici le plan proposé pour la première partie:

Chapitre 1.- Quelques notions de base
Chapitre 2.- Les variables aléatoires discrètes, les variables aléatoires continues, les fonctions d'une variable aléatoire
Chapitre 3.- Quelques lois de probabilité discrètes
Chapitre 4.- Quelques lois de probabilité continues
Chapitre 5.- La loi normale
Chapitre 6.- Les vecteurs aléatoires

Le plan de la deuxième partie sera donné plus tard.

Voici le plan du chapitre 1.


Chapitre 1.- Quelques notions de base
  1. Introduction
  2. Définition de quelques termes reliés aux ensembles et aux probabilités
  3. La probabilité d'un événement et sa détermination
  4. L'espace échantillonnal fini et son dénombrement
  5. Les probabilités conditionnelles
  6. Les événements indépendants
  7. La partition de l'espace échantillonnal, la loi de probabilité totale et le théorème de Bayes

Le plan des autres chapitres sera donné au fur et à mesure.

Je posterai chacune des 7 leçons du chapitre 1 au fur et à mesure. La première leçon sera disponible ici dans les 72 prochaines heures.

À très bientôt.

Dr. Pierre Montès

Compteur